L'humour à l'égyptienne
L'humour, en Egypte, on connaît. Il semblerait que ce soit même l'une des caractéristiques de l’Égyptien moderne : c'est ainsi qu'on le décrit dans les guides touristiques ou les ouvrages qui parlent de la société égyptienne, et c'est aussi mon impression après 6 mois passés ici.
On dit souvent que l'humour est la meilleure arme des Égyptiens face aux coups du sort et aux difficultés de la vie quotidienne. Dans un pays où, il faut bien le rappeler, environ un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, et où il est souvent nécessaire pour les hommes de cumuler plusieurs emplois pour faire vivre leur famille, la vie n'est pas toujours simple.
L'une des premières formes d'humour à laquelle on a facilement accès en Egypte, c'est la comédie. Dans son cinéma, qui rayonne à travers le monde arabe, et dans son théâtre, on trouve une foultitude de films et de pièces focalisés intégralement sur le comique de situation, avec force scénarios invraisemblables et qui pro quo entre plusieurs personnages. Les séries télé modernes ne sont pas en reste - quand elles ne jouent pas sur la corde tragique, ce sont très souvent des concentrés de situations drôles avec un fil conducteur plus ou moins élaboré.
Pour moi qui parle encore si peu arabe, les comédies égyptiennes sont extrêmement faciles à suivre, en particulier celles des années 50/60 qui repassent tout le temps à la télé (le cinéma égyptien produisaient des centaines de films par an à cette époque, dont forcément un grand nombre de films comiques). Les expressions faciales exagérées, les bagarres grotesques, la musique qui accompagne les scènes, tout y est. Parmi tous les acteurs ultra-célèbres du cinéma égyptien, dont je connais vraiment si peu de choses, il y a pourtant une figure qui revient souvent : Adel Imam, l'un des plus grands acteurs dont la renommée n'est plus à faire dans le monde arabe et qui est un as de la comédie. Il incarne à lui seul la comédie à la sauce égyptienne. Même avec ma connaissance encore minuscule du cinéma d'ici, il m'a suffit de voir ce visage familier régulièrement dans un grand nombre de vieux films diffusés à la télé pour comprendre que c'est un monstre sacré du genre - et de bien d'autres en réalité.
Ainsi, tout en sachant que les gens, surtout les hommes, sont d'un naturel assez blagueur, je suis encore en pleine exploration de l'humour égyptien. Je manque cruellement de codes linguistiques pour le comprendre et je ne connais malheureusement aucun jeu de mots, bien que j'adore avoir ce genre de connaissances dans une langue étrangère. Alors c'est dans l'attitude et dans les rires francs que je décèle les moments où mes collègues partagent des moments de franche rigolade. Et, il faut le dire, c'est pratiquement tout le temps ! Parfois, je me dis que ce serait un euphémisme de dire que mes collègues sont presque toujours de bonne humeur et prêts à blaguer dans la seconde :P
Surtout, ils ont une capacité à plaisanter en français que j'admire énormément. Je n'arriverais pas trop à dire si c'est de l'humour à la française, ou à l'égyptienne, ou un mélange des deux... mais c'est peut-être surtout parce qu'ils ont à l'origine le même genre d'humour que ce que l'on peut trouver en France que je ne ressens pas de différence particulière ;)
Ce qui me fascine aussi, c'est la capacité de mes étudiants, pourtant débutants en français, à formuler des blagues ou de petites plaisanteries en classe, alors même qu'ils sont en pleine progression dans la langue et que l'humour est l'une des choses les plus compliquées à transmettre et à formuler dans une langue étrangère !
Quelques petits exemples récents :
- Mes étudiants savent que j'adore le koshary, l'un des plats nationaux sacrés en Egypte. Ils ne se privent donc pas pour placer le nom de ce plat lorsque je leur demande de proposer des exemples de phrases pour illustrer un point de grammaire. Dernier exemple en date ? L'expression du souhait : "Emilie, si vous aviez beaucoup d'argent, vous ouvririez un grand restaurant de koshary."
- Ils ont créé des concepts grammaticaux improbables à partir de ceux existant, et ça les fait bien rire : par exemple, "l'imparfait composé", qui n'est autre que... le plus-que-parfait, ou encore "l'imparfait proche", comme dans la phrase "Il a dit qu'il allait rentrer demain" dans le discours indirect... :P- Sur le modèle de "l'arbre à pommes = un pommier", "l'arbre à cerises = un cerisier", je vous présente l'arbre à gâteaux... le gâteauxier :P
Voilà, ces quelques exemples vous montreront certainement un aperçu de la place qu'a naturellement l'humour dans la société égyptienne, et surtout sa proximité apparente avec l'humour à la française, ce qui fait que globalement il ne m'a pas été trop difficile de l'appréhender et de plaisanter avec mes collègues et amis d'ici ;)
Pour retrouver tous les articles du thème de ce mois, c'est à la fin de cet article sur le blog 3 kleine Grenouilles !